Je dois être une des dernières à découvrir ce livre phare de la rentrée littéraire 2015 – je n’ai plus en tête tous vos billets, mais autant dire que j’avais déjà quelques idées lorsque ma BM m’a indiqué qu’il était disponible. J’y suis allée, je l’ai pris et rapporté chez moi, et presqu’oublié. En voyant qu’il ne me restait que quatre jours avant de devoir le retourner, j’ai arrêté une autre lecture et j’ai sauté le pas. Que me réservait Delphine de Vigan dont le très beau « Rien ne s’oppose à la nuit » m’avait vraiment touché ?
Delphine m’a attrapé, kidnappé pendant deux soirées, et un midi pendant ma pause déjeuner. Impossible de reposer le livre, enfin presque – parce qu’il y a eu une « fin » avant la fin. Mais je vais y revenir. En premier, le style fluide de la romancière a très bon fonctionné sur moi, Delphine de Vigan m’a passionné quand elle aborde le sujet du processus créatif – sujet qui me passionne. Quand je reçois le magazine Lire à la maison, j’ouvre directement sur la page où un écrivain répond à ces questions « comment écrivez-vous? Où ? Combien de pages ? A quelle heure ? « , etc. Je me nourris de leurs réponses. Le dernier en date fut Dennis Lehane. Passionnant le sujet du livre de De Vigan : ce blocage violent qui empêche la narratrice d’écrire à nouveau la moindre ligne.
Tu sais, parfois, je me demande s’il n’y a pas quelqu’un qui prend possession de toi.
Delphine de Vigan est très douée pour raconter les petits détails du quotidien, les anecdotes qui forment un tout – elle sait aussi raconter l’isolement dont certains écrivains s’entourent volontairement ou d’autres qui le subissent. Comment on peut devenir célèbre et profondément seul. J’ai dévoré ces pages, engloutissant tour à tour ses confidences sur ce traumatisme de la page blanche, ce sentiment de solitude, cette incapacité à communiquer et puis ses anecdotes sur ses enfants, son compagnon, ses petits mensonges avec la vérité qui deviennent gros et l’entrée sournoise dans sa vie de la fameuse L. qui va peu à prendre toute sa vie en main.
Ensuite, il y a ce fameux débat entre elles : fiction ou réalité ? Ou les deux ? Que veut le lecteur ? Et l’auteur est-il la narratrice, ou un personnage de fiction ? Pour ma part, point de débat : je vais rejoindre pas mal de mes auteurs américains qui vous diront qu’il y a toujours des deux dans tous leurs romans, qu’ils soient autobiographiques ou pure fiction, l’auteur mélange toujours le vrai et le faux. Discussion passionnante mais qui devient, comme L. fatigante et redondante, surtout pour moi vu que le débat n’en est pas un. Puis Delphine s’amuse de nous, elle glisse son « D’après une histoire vraie » et joue avec ses lecteurs, c’est drôle, amusant. J’ai vu les signes avant-coureur, son personnage ne voit rien évidemment. La narratrice s’enfonce. C’est effrayant de voir à quel point elle est aveugle. Elle l’avoue – elle se repose sur cette fameuse L. qui peut la manipuler à plaisir. Le déclic viendra un jour mais qu’il fut long ! Un déclic de romancier. Un autre tour de passe passe. Les questions fusent : L. est-elle réelle ? Son reflet dans le miroir, celui d’une autre vie, d’une femme dont elle admire la classe, le style, le chic, le caractère, l’assurance … Que représente-t-elle ? Delphine de Vigan s’amuse avec sa narratrice, avec ses lecteurs. Bien joué, mais les longueurs s’enchainent malgré un style parfaitement maîtrisé. Ma surprise vient du terme « thriller » qui ne cesse de réapparaître or je n’ai jamais pensé à un thriller ! L’allusion à Misery de Stephen King, un classique du genre pour moi, ne fonctionne pas.
Le livre est une sorte de miroir, dont la profondeur de champ et les contours ne m’appartenaient plus.
Sauf que moi, j’ai lâché d’un coup le livre, il ne me restait pas cinquante pages à lire – impossible de croire une minute à l’enfance à la Cosette que le personnage L. raconte. Pourquoi cette surenchère de malheures ? En fait, le déclic pour moi a eu lieu avant lorsque cette fameuse L. prépare sa fête d’anniversaire. Je n’en dirais pas plus mais ce sentiment de distanciation avec les personnages ne fera que s’amplifier avec la litanie des malheurs de L. Résultat : le livre m’est presque tombé des mains. Et que dire de la fin ? J’ai ri tant c’était gros et soudainement mal écrit… Mais quand on sait qui a écrit le livre, on peut comprendre à quoi jouait la romancière française….
Malheureusement, il me reste un goût amer qui n’est pas parti depuis. Cependant, j’ai noté plein d’extraits qui m’ont vraiment parlé, ceux autour de la puissance de la lecture :
Oui, le livre est une arme, Delphine, une putain d’arme de destruction massive (…), l’écriture est une arme de défense, de tir, d’alarme, l’écriture est une grenade, un missile, un lance-flammes, une arme de guerre. Elle peut tout dévaster, mais elle peut aussi tout reconstruire.
De Vigan signe la fin de ce roman avec ce petit tour de passe-passe et ce petit clin d’oeil en forme d’étoile. Pas mal mais je m’attendais à mieux. Au final, oui ce roman est un vrai page-turner au deux-tiers pour retomber comme un soufflé au fromage.
A nouveau, j’adore tout ce qui tourne autour du processus créatif, moins autour du débat stérile entre fiction et réel car selon moi les deux se nourrissent l’un de l’autre et je suis passée totalement à côté du thriller (comme chez Joyce Maynard, je pense que leurs histoires n’ont pas besoin de ce ressort dramatique pour être passionnantes).
Au final, j’ai largement préféré son précédent roman mais j’ai eu un vrai plaisir à retrouver son style parfaitement maîtrisé et fluide ainsi que ses réflexions sur le métier d’écrivain.
♥♥♥♥♥
Editions JC Lattès, 484 pages
Fin*