![wild book](http://www.tombeeduciel.com/wp-content/uploads/2016/03/wild-book.jpg)
Le terme anglais pour ce trajet est journey. Ce mot anglais a plusieurs significations qui ici trouvent tout leurs sens : voyage, chemin, trajet, route. C’est un voyage intérieur que va entreprendre Cheryl, un trajet symbolique vers la ville qui deviendra son domicile, son attache (Portland), une route vers une nouvelle vie (9 jours après elle rencontrera son futur époux et père de ses enfants), et un chemin de guérison comme certains prennent chaque année la route vers Saint-Jacques de Compostelle.
Ce livre a connu un succès mondial lors de sa parution en 2012, mais comme l’a expliqué Cheryl, il ne s’agit pas d’un récit nature writing. Même si tout à la fin, Cheryl s’attarde sur l’histoire volcanique de certaines montagnes, ce n’est pas l’objet du récit. Même si la nature est évidemment le deuxième personnage principal de ce récit, c’est surtout un voyage intérieur comme le prouve le titre complet du roman : from lost to found. Depuis plusieurs années, la jeune femme s’était perdue. La mort soudaine de sa mère adorée, celle qui était le pivot de cette famille avait fracassé violemment l’équilibre fragile de cette jeune étudiante en lettres. Déboussolée, la jeune femme s’était perdue dans des aventures sans lendemain, dans la drogue et l’alcool. Elle avait abandonné ses études et si ce n’est par l’extraordinaire soutien de son ex-mari, Paul, elle aurait sombré corps et âme. En s’arrêtant un jour sur un guide de randonnée consacré au PCT , la jeune femme a eu comme un déclic.
Cheryl raconte ici la souffrance, les regrets et surtout la perte de l’être le plus cher au monde pour elle : sa mère, emportée par un cancer foudroyant à l’âge de 49 ans en 49 petits jours. Le monde de Cheryl s’écroule. Tous ses repères disparaissent. La famille éclate. Mais la force du récit c’est que Cheryl n’est jamais dans l’apitoiement. Ici pas de larmoiement, elle assume sa descente en enfer, ses choix de vie, même les pires. Elle crie sa rage, sa douleur. Elle en veut à sa mère d’être partie si vite. Elle s’en veut d’être devenue ce zombie. Alors, elle marche, elle avance, elle tombe, se relève. 94 jours de marche dans des conditions météo éprouvantes : des déserts aux montagnes, de la chaleur et de la sécheresse, à la neige et aux pluies glaçantes. La jeune femme porte sur elle et en elle tous ses fardeaux comme ce sac à dos, énorme qu’elle a surnommé « Monster ».
A chaque jour suffit sa peine, et lorsque ses pieds, ses muscles la lâchent, Cheryl est envahie de doutes mais la jeune femme ne lâche jamais le morceau. Elle remercie l’éducation reçue, la pauvreté dans laquelle elle a été élevée. Sa famille a toujours vécu chichement, sa mère, cumulant les petits jobs de serveuse, la famille vivotant dans des maisons sans eau courante ou sanitaires. Elle remerciera son beau-père, pourtant sorti trop vite de sa vie après le décès de sa mère, il lui aura appris la pêche, la chasse et quelques techniques de survie. La vie n’a jamais été aisée pour elle, aussi elle se relève à chaque fois. A chaque pause, où elle va chercher un colis rempli de nourritures, de vêtements neufs et d’un billet de 20$, Cheryl revit.
Il y a des moments sublimes dans ce roman, chaque rencontre avec un animal, que ce soit un serpent à sonnettes, un renard ou un ours – ces instants sont magiques. Et puis il y a aussi ces rencontres avec d’autres randonneurs, des couples, des étudiants dont certains avec qui elle va ressentir une profonde connexion. Et si elle est parfois heureuse de faire un bout de chemin en leur compagnie, Cheryl ressent le besoin profond de continuer seule. Alors, elle les quitte et continue à marcher, grimper, malgré l’état terrible de ses chaussures et de ses pieds, du poids de ce sac-à-dos. Elle décrit très bien les changements physiques engendrés par cette randonnée. 94 jours, où elle va peu à peu accélérer son pas et bientôt elle marchera près de 25 km par jour. Cheryl étonne et fait fantasmer tous ceux qui la croisent. Cette jeune femme frêle prête à affronter tous les dangers : les chutes dans des ravins, l’étroitesse de certains passages, les tempêtes, la glace et les animaux sauvages. Mais j’en reviens au point initial : le plus grand voyage reste l’exploration de son propre paysage émotionnel.
Cheryl est seule pour affronter ses démons. Et quand arrive le soir, elle est ravie, même par une soirée d’été agréable où des milliers d’étoiles parcourent le ciel, de se glisser dans sa tente et de pouvoir dévorer livre après livre. Onze d’entre eux finiront en cendres, afin d’alléger le poids de son Monster. Elle les cite à la fin de son récit, et particulièrement un recueil de poèmes d’Adrienne Rich dont elle ne pourra jamais se séparer. La jeune femme signe de son nom les cahiers d’entrée dans les parcs nationaux en y ajoutant des citations ou des poèmes. Bientôt, elle devient une légende parmi les randonneurs qui espèrent la croiser. Cheryl aime les mots, les livres et veut devenir écrivain.
Ce récit aura eu un fort écho en moi, d’une part, parce que cette randonnée m’a toujours fait rêver, et d’autre part, parce que j’ai perdu un parent au même âge. Et j’ai connu cette même rage intérieure. Même si j’ai eu de la chance de pouvoir compter sur le reste de ma famille, j’ai eu quelques années difficiles. Et puis j’ai voyagé à de nombreuses reprises dans ces parcs nationaux, du désert du Mojave jusqu’aux plages et aux forêts de l’Oregon, je suis passée très près de ces endroits majestueux.
L’autre point fort du récit est son auto-dérision : lorsque Cheryl perd l’une des ses chaussures de randonnée ou qu’elle doit survivre avec 20 centimes, qu’elle rêve d’un soda pendant des jours et des jours. Pour les randonneurs, ou ceux qui aimeraient se lancer, Cheryl est le cobaye parfait : ses chaussures sont trop petites, son sac à dos est trop chargé. La solitude peut devenir très pesante et les idées noires venir se forger dans un coin de votre tête. L’envie d’abandonner n’est jamais loin. Cheryl n’enjolive rien.
Pour avoir vécu aux États-Unis, la marche n’a rien de normal. La plupart des villes de l’Ouest ne possèdent pas de trottoirs, on conduit toujours pour aller au travail, faire ses courses, sortie le soir. Le pays entier est tourné vers la voiture. Alors Cheryl découvre ce que représente pour de vrai un mile (1,6 km) et de marcher des heures et des heures, puis des jours et des semaines, et des mois. Plus de trois mois.
Je n’aime pas écrire dans mes livres mais ici il y a tellement de passages qui ont résonné en moi que j’ai sauté le pas. Ce livre fait dorénavant partie de mes 10 lectures préférées. Un livre dont je sais déjà que je relirai encore et encore. J’ai, je l’avoue, repoussé la fin de ma lecture pour rester encore en sa compagnie et celle de Doug, Tom et tous ceux qui, un jour, se sont lancés un défi.
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