Alain Tealing est professeur de littérature anglaise. Il vit seul depuis que sa femme et sa fille ont été tuées dans un attentat il y a vingt ans. Sa vie est en suspens. Il ne s’est jamais remis de leur mort et est obsédé par l’attentat.
L’avion à destination de New York a explosé en vol peu de temps après le décollage et les débris ont recouvert une zone de plus de cinq kilomètres. Alain Tealing s’y est rendu immédiatement, il a erré dans la petite ville envahie par les secours, les médias – a essayé de s’approcher de la zone mais on l’a empêché. Il a vu les débris, les morceaux d’avions, les restes des valises. Leurs corps n’ont jamais été identifiées et Alain Tealing n’a jamais fait son deuil. Très impliqué dans l’enquête, il a mis en doute le travail des inspecteurs (le vol reliait Londres à New York, les services secrets des deux pays ont enquêté). Lorsqu’un homme a été arrêté et désigné coupable, Alan a douté et s’est exprimé à ce sujet dans la presse. Et le procès qui eu lieu quelques années après n’y a rien fait. Alan a choqué beaucoup d’autres familles de victimes en allant voir l’accusé en prison mais il en est ressorti persuadé que celui-ci était innocent et qu’on continue de lui cacher la vérité. Les années ont passé et Alan a transformé une pièce de sa maison en bureau d’enquête, des milliers de documents se sont accumulés.
Alors lorsqu’un ancien agent de la CIA vient frapper à sa porte, Alan y voit comme une nouvelle opportunité de trouver la vérité. Alan avait repris ses cours et s’était fait une amie avec qui il entretient une relation de temps en temps. Mais l’arrivée de cet agent bouleverse cet équilibre précaire. Alan est très méfiant, il accuse la CIA d’avoir enterré des preuves ou fabriqué des fausses accusations. Mais l’agent est en phase terminale et il veut aider cet homme. Il lui offre juste l’adresse d’un témoin qui pourra lui apporter, peut-être, la réponse qu’il cherche depuis tant d’années. Alan décide de partir à la recherche de la vérité.
Mais quelle vérité ? Enfermé dans son chagrin depuis vingt ans, Alan oscille entre phases de frénésie dès qu’il découvre un nouvel élément puis replonge dans une profonde dépression quand il se retrouve dans une impasse.
L’auteur écossais, que je n’avais jamais lu auparavant, James Robertson, livre ici un roman troublant qui interroge chacun de nous : comment réagirais-je si mes proches mourraient dans un attentat, devenu un évènement mondial ? Evidemment, les attentats en France mais aussi cet avion abattu au-dessus de l’Ukraine (troublante similitude avec le livre) ont accompagné ma lecture, et le témoignage des survivants et celui des familles des victimes. Leur douleur est devenue universelle. Portée par la France entière. Mais comment faire ?
Je sais, avec ces attentats mais aussi les affaires les plus anciennes, l’attentat de Lockerbie en 1988 par exemple, que les enquêtes sont toujours difficiles, et souvent, malheureusement ne permettent jamais d’arrêter les vrais coupables. Elles plongent les familles dans l’incertitude et le doute et prolongent leur deuil de plusieurs années.
Et nous voici accompagnant Alan, qui a refusé totalement la mort de ses proches, ainsi il continue de parler à sa fille qui a toujours huit ans comme si elle était toujours là et il n’a jamais envisagé de refaire sa vie. Cette enquête est devenue une obsession qui l’a séparée du monde des vivants. Il erre entre les deux mondes. Comment dépasser un chagrin aussi fort ? Je me suis posée la question – il y a l’injustice qui provoque la colère mais Alan veut plus que ça, il est à la poursuite d’une réponse, qui au final, n’en sera pas vraiment une. Je crois qu’il le sait. Cette perpétuelle recherche, le refus d’accepter la décision du tribunal est aussi une manière de refuser l’indicible : la mort de ses proches. Faire son deuil serait accepter de les voir partir, et Alan n’en veut pas.
Aucune vérité ne pourra libérer Alan de sa douleur, lui-seul pourra mettre un terme à cette souffrance et avancer. Quand il rencontre enfin ce témoin, il comprend peu à peu que ce n’est pas la vérité qu’il cherche, elle ne lui apportera aucune délivrance.
Ces vingt ans ont fait d’Alan un homme décharné, une âme esseulée, une enveloppe vide – c’est à cela que j’ai pensé en lisant ce roman, presque d’une traite.
Une lecture profonde, dérangeante, pas joyeuse, je l’avoue mais une très belle découverte : James Robertson, un style maîtrisé, une fiction littéraire profonde.
♥♥♥♥♥
Éditions Métailié, The professor of truth, trad.Céline Schwaller, 304 pages