Me voilà au Salon du Livre à Paris quand Jérôme m’emmène au stand de l’éditeur Minuit et je retrouve La disparition de Jim Sullivan, vue une première fois à Nantes en librairie – cette fois-ci je craque. Et surprise, l’après-midi, nouveau passage avec Eva et Delphine-Olympe devant le stand, Tanguy Viel est là ! J’en ai donc profité pour le faire dédicacer.
J’ai profité de ce long week-end pour le lire, il se lit très vite (160 pages), il m’aura suffit d’une grasse matinée. J’avoue : Tanguy Viel m’a surpris par son choix narratif : le voilà narrateur (du moins on peut le penser) et il se confie à vous, lecteur sur son rêve d’écrire un « roman américain ». Car Tanguy Viel a réalisé qu’il lisait principalement des romans américains et que ces romans possèdent ce don d’universalité qui parlent à tous, que vous soyez Américains ou Français. Et voici son idée de départ :
Du jour où j’ai décidé d’écrire un roman américain, il fut très vite clair que beaucoup de choses se passeraient à Detroit, Michigan, au volant d’une vieille Dodge, sur les rives des grands lacs. Il fut clair aussi que le personnage principal s’appellerait Dwayne Koster, qu’il enseignerait à l’université, qu’il aurait cinquante ans, qu’il serait divorcé et que Susan, son ex-femme, aurait pour amant un type qu’il détestait.
Puis tout le long du roman, le narrateur réfléchit à l’histoire de ce fameux Dwayne – pourquoi est-il stationné à deux cent mètres du logement de son ex-femme ? Pourquoi a-t-il une batte de base-ball dans son coffre ? Et pourquoi le surprend-elle un nuit à enterrer des boites dans le jardin ? Et Tanguy Viel de se faire plaisir à étriller tous les écueils des romans américains, stéréotypes et clichés qui jalonnent les romans américains : l’éternel prof de fac qui traverse une crise existentielle, divorcé (forcément, il cite les romans de Philip Roth, de Richard Ford…), qui enseigne dans une fac renommée (ici Ann Arbor) et qui annonce une ville comme tierce personnage Détroit et ses grands lacs.
L’idée de départ est très intéressante et c’est vrai qu’on retrouve souvent ce genre de personnages dans les romans américains, et puis le héros prend la route – comme tout bon américain, forcément il va traverser le pays jusqu’à Myrtle Beach, au bord de l’Atlantique. Il roule des heures, voit du pays, dort dans motels poisseux, boit dans des bars miteux – tout y est. Avec en fond, la disparition de Jim Sullivan, le chanteur préféré de Dwayne, qui s’est volatilisé une nuit au Nouveau-Mexique. Bref, tout y est.
Mais le souci c’est justement le fait que Tanguy Viel veuille tout mettre dans son roman, ainsi lorsqu’il envoie son personnage pêcher, il s’attaque au nature writing , maladroitement, puis avec l’histoire du vol des œuvres d’art irakiennes, il veut parler grande Histoire (le roman se passe en 2003 quand les USA déclarent la guerre à l’Irak) en y mêlant petite histoire et enquête policière, mais à nouveau c’est maladroit, décousu. Oui, les Américains citent souvent le fameux Nine Eleven (11 septembre 2001) et rattachent leurs romans à des personnages réels, mais ici Obama n’a rien à faire-là. A cette époque, il n’est connu que dans l’État d’Illinois. Et Tanguy Viel de vouloir aussi y glisser l’obsession des Américains pour le paranormal (les UFO), et encore d’autres clichés…. mais tout ne rentre pas ..
A vouloir tout mettre, il me perd. Par exemple le personnage quitte Détroit et la ville disparait – l’auteur rate totalement son coup de la placer en avant. Est-ce volontaire ? Peut-être…
![](http://i2.wp.com/www.tombeeduciel.com/wp-content/uploads/2017/05/road-usa-66.jpg?resize=742%2C300)
A-t-il voulu mélanger nature writing / romance / thriller / grands espaces / microcosme universitaire / crise existentielle en un seul roman ? Ou est-ce juste un exercice de style ? Car les Américains ne mélangent pas tout. Autre bémol : je n’ai pas cru une seule seconde à la crise existentielle de Dwayne, parce que sa femme a pris un amant (alors que lui-même couche avec une étudiante), il va péter un câble : se lancer dans le trafic d’œuvres d’art, mettre le feu à un restaurant, engager des hommes de main … et quitter son métier comme par enchantement…
Ma faute sans doute – je lis énormément de romans américains et surtout j’ai vécu, étudié, travaillé là-bas et donc j’ai souri face à des idées préconçues qui sont l’image que l’on se fait des Américains, mais qui est parfois erronée (« les Texans sont tous des Républicains » nous dit-il). J’ai ainsi trouvé que le choix du prénom du personnage principal, un professeur de littérature dans une fac très connue (spécialiste des auteurs américains contemporains et classiques) était totalement raté. Pas un professeur ne se prénomme Dwayne. Je sais c’est bête, mais Dwayne c’est le vendeur de voitures de la petite ville d’à côté. C’est le voisin chiant qui vous fait de grands gestes quand vous essayez de vous faire discret. Mais ce n’est pas un professeur de littérature
Autre idée farfelue : l’auteur veut parler d’un sport violent typiquement américain et il choisit le hockey sur glace – l’auteur nous explique que ça fait très américain, car en France, on n’y joue qu’à Annecy. Non, ce sport est plutôt associé avec les Canadiens (et au Texas, personne ne joue au hockey…) Pourquoi ce choix ? Mais enfin, le football américain ! Richard Ford, bon sang ….
Enfin, les flashbacks, une forme narrative très présente dans les romans américains et maîtrisée or ici ça ne l’est pas. Bref, j’ai lu le roman de Tanguy Viel, je n’ai pas compris l’exercice et je n’ai pas du tout accroché aux personnages et j’étais heureuse de refermer ce roman.
Je vous l’accorde : il a bien mis le l’accent sur certaines tournures narratives, sur des personnages récurrents, sur les obsessions des auteurs américains mais avec un regard très Français, et d’une manière trop décousue. Oui, j’ai apprécié son humour. J’ignore quel était le but de cet exercice, mais je préfère replonger dans un bon roman américain.