La faute à Eva ! C’est sur son blog que j’ai croisé le livre de Sophie Daull, après l’avoir vue dans l’émission La Grande Librairie. Le billet d’Eva m’a vraiment donné envie de le lire et quand je l’ai vu dans les coups de cœur des bibliothécaires de mon quartier, je n’ai pas hésité. Encore un livre « hors programme » me direz-vous …
Sophie Daull, comédienne, raconte dans ce récit qui se veut être un roman (selon son éditeur), l’agonie de sa fille de 16 ans d’une part (4 jours effroyables et les jours qui ont suivi jusqu’à son enterrement) et en parallèle, ce cahier qu’elle commence à écrire, destiné à sa fille, trois mois plus tard.
Camille, mon envolée avait 16 ans lorsqu’elle a été emportée la veille de Noël 2013, après quatre jours d’une fièvre sidérante. Le médecin de famille avait conclu à une grippe et même les services d’urgence, alors que son état ne cessait d’empirer (elle avait des crises de delirium) l’ont renvoyée chez elle. Un dernier appel passé à Médecins d’urgence ne pourra la sauver, malgré les massages cardiaques prodigués par le médecin de garde et les pompiers venus en renfort.
Vous l’aurez compris : ce roman n’est pas une partie de plaisir, pourtant je l’ai lu d’une traite (je me suis couchée à 1h30 du matin) – impossible de quitter Camille et ses parents. J’ai beaucoup aimé le regard d’une mère sur sa fille, sur cette jeune femme dont l’avenir était plus que prometteur, une artiste en herbe, une jeune femme engagée – tant de promesses et puis plus rien.
Le talent de Sophie Daull est de nous faire aimer sa fille, une véritable déclaration d’amour à son encontre. Elle avait un regard « franc, droit, lumineux ». Adolescente, elle restait proche de sa mère même si Sophie Daull n’oublie pas les engueulades, il est normal qu’elles leur préfèrent les instants de complicités, les fous rires, les câlins. Alors Sophie prend son cahier et lui écrit. Ces quatre journées où l’adolescente, malgré la douleur aigüe, a tenu fort – décrire les préparatifs de Noël, tout en surveillant la jeune fille qui souffre au fond de son lit. Et puis subitement, la plongée abyssale dans le néant.
Comment ils vont, eux parents, devoir alerter familles et amis, en ce jour de fête, de la mort de leur unique enfant. Récupérer les amis, cousins, tous adolescents effondrés, et puis le rapatriement du corps, les pompes funèbres – la paperasse qui nous parait si insupportable. Que choisir ? Où l’enterrer ? Que mettre sur sa pierre tombale ? Sophie Daull réussit même à nous faire rire. Car il faut bien rire, de l’absurde. La tournée des pompes funèbres et les préparatifs de fête
Alors, oui on s’éloigne du récit quand elle parle de sa fille, ou quand elle s’adresse à sa fille mais le roman ne manque jamais d’humour. Un récit poignant, traversé d’envolées lyriques, qui ne verse jamais dans le pathos – ici c’est plutôt un exercice de résistance – il aura fallu attendre presque trois mois pour que les analyses sanguines révèlent le nom de l’affreux mal qui a pris leur fille. Comment ne pas verser dans la colère contre les services hospitaliers qui n’ont jamais pris au sérieux la douleur de leur enfant ? Mais Sophie Daull résiste. Elle remonte même sur les planches.
Ici pas de mausolée, d’ailleurs ses parents vident sa chambre, distribuent ses 77 peluches. Un acte fort, car souvent la chambre reste intacte. Non, Camille était plus que des posters ou des vêtements. Le récit est un hymne magnifique à la vie de Camille et non à sa mort. Camille est là, toujours présente, dans leur cœur, dans leur manière d’aborder la vie, le monde. Il y aura Noël à fêter et puis le Nouvel An, oui les parents de Camille vont boire le champagne. Car Camille c’était la vie.
Ici Sophie Daull créé un endroit unique « un belvédère d’où Camille et moi pouvons encore, radieuses, contempler le monde ».
Je n’ai pas d’enfants mais ce récit a fortement raisonné en moi. Il y a huit ans, c’était moi Camille. Mon médecin de famille m’avait diagnostiqué une gastro-entérite, mais très vite, impossible de déplier mes jambes, une douleur intense parcourait mon corps. Mon corps a lâché, s’est vidé entièrement, toute force physique m’avait quitté et cette douleur qui m’empêchait de dormir, de respirer. Une nuit infernale. Le lendemain, je rappelle mon médecin qui ne doute pas de son diagnostic et m’envoie une nouvelle ordonnance. J’ignore comment j’ai tenu une autre nuit mais le surlendemain (un 14 juillet) j’ai appelé ma mère au secours. En me voyant, il a suffit que son regard croise le mien pour que l’on se comprenne, comme quand Sophie Daull a ressenti plusieurs fois la mort frôler – ma mère n’a pas réfléchi une seconde et m’a porté jusqu’à la voiture, direction les urgences. Ma chance ? Une équipe d’interne qui m’a pris au sérieux, après m’avoir soulagé du principal symptôme (j’ai enfin pu déplier mes jambes après 48h), j’ai attendu et le soir, un scanner a trouvé le mal. Opérée en urgence, j’ai appris par mon médecin que je serais morte d’une septicémie chez moi ce troisième jour. La vie sauve, 8 kilos en moins. Je n’ai jamais revu mon médecin traitant. J’ai tourné la page. Les médecins m’ont sauvés.
Alors quand un vent froid vous glace le sang, quand un voile passe devant vos yeux, suivez votre instinct et ne lâchez pas ! Suivez votre instinct. Camille, mon envolée, est sans aucun doute le titre le plus beau pour honorer sa mémoire.
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Editions Philippe Rey, 192 pages